Rapport de mission 2e DB: Largage en L-4 du message du Général Leclerc aux Parisiens

Le Capitaine Callet
Le Capitaine Callet

Le 24 août 1944, le Capitaine Callet (Pilote) et le Lieutenant Mantoux (Observateur) ont réalisé une mission historique à bord d’un Piper L-4: Ils ont largué au-dessus de la Préfecture de Paris le message annonçant l’arrivée des troupes du Général Leclerc, et donc la Libération de la capitale.

Le récit du pilote (rédigé par Renaud Leblond) et le rapport de cette mission exceptionnelle:

Rapport de mission
Rapport de mission
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Rapport de mission (suite)

“C’est par un temps de chien, le 24 août, vers 13 heures, que je reçois l’ordre le plus inattendu de ma carrière. Je suis alors à Rambouillet, d’où, le matin même, les blindés de la 2e DB se sont ébranlés pour gagner au plus vite la capitale.

Mes huit avions – des Piper Cubs américains chargés de corriger les tirs d’artillerie – sont cloués au sol. Englués par cette pluie drue qui ne cesse de s’abattre. Comme moi, mon observateur, le lieutenant Etienne Mantoux, est profondément déçu: ce soir, ou demain au plus tard, les chars de Leclerc pénétreront dans Paris en héros, alors que l’escadrille, elle, embourbée par la tempête, apprendra la victoire sans y avoir participé. Nous sommes vraiment envieux… Quand soudain une Jeep ruisselante s’arrête devant le PC de l’escadrille.

Un officier de liaison de l’artillerie, le capitaine Righini, en descend, puis se dirige vers nous. Sa voix est pressante: “La capitale s’est soulevée, dit-il. C’est la Préfecture de police qui dirige les opérations et qui subit le choc principal des forces allemandes. Les agents tiennent héroïquement, mais ignorent l’avancée fulgurante de nos blindés.

Message du Général Leclerc Leclerc

Des émissaires ont atteint le PC de Leclerc. Ils ont dépeint la situation dramatique de ceux qui combattent dans Paris et qu’il faut, à tout prix, rassurer…” Je comprends aussitôt la mission: survoler Paris et lâcher sur la Préfecture un message lesté de plomb. Quatre petits mots: “Tenez bon, nous arrivons.” Mantoux et moi sommes gonflés à bloc. Malgré le mauvais temps. Malgré, surtout, les risques insensés qui se profilent: comme tous les Pipers, mon avion n’est pas blindé; il est lent et ne dispose pas de moyen de riposte. D’ailleurs, le règlement est formel: un piper ne doit jamais traverser des lignes ennemies.
Sauf dans l’urgence. Sauf dans l’euphorie d’une libération qui s’annonce, mais tient encore à un fil. Vers 15 heures, une éclaircie s’offre à nous. A la hâte, nous revêtons nos parachutes et bouclons nos ceintures. Pour une première escale à Arpajon. Cette fois, je prie le Seigneur. Intensément.

Le Lieutenant Mantoux
Le Lieutenant Mantoux

Et, tandis que le moteur de l’avion se met à vrombir, me revient cette phrase du “Chant des Francs”: “Les heures de la vie s’écoulent… Nous sourirons quand il faudra mourir.” Sur la piste, les équipages sont rassemblés. Ils nous disent adieu. Notre avion bondit sur la bande de la prairie. Les pouces se lèvent. Nous filons vers l’inconnu…
Le ciel s’est dégagé. Au sol, nos chars, bien visibles avec leurs panneaux roses, jalonnent la ligne avancée des combats. Ils sont désormais derrière nous. Etienne et moi sommes étonnamment calmes. Pour me cacher des Allemands, mais aussi pour m’orienter, je joue avec les nuages. Dans une sorte d’extase, je répète au micro cette phrase de Montherlant: “Savoir enfin ce qui compte et ce qui ne compte pas. Et nous en tenir à ces clartés que nous avons délimitées sous le soleil de la mort.” Mais Etienne me corrige: “Oui mon capitaine, mais nous en tenir à ces clartés que nous ?allons? délimiter sous le soleil de la mort!”
Quand? Là maintenant, alors que, les premiers, nous découvrons Paris et oublions tous les dangers. Je reconnais le Panthéon, puis la Préfecture. Etienne me confirme l’objectif. Que faire? Je hurle: “Attention, je vais piquer!” L’avion bascule, vire et plonge. Je veux tromper l’ennemi. Simuler une chute. L’altimètre décroît. Rien, pas un coup de feu. Nous sommes bientôt à quelques mètres au-dessus des flèches de Notre-Dame. Je redresse brutalement l’appareil en amorçant un virage circulaire autour de la Préfecture. Etienne explose: “Message lancé!” Et je vois alors la banderole couleur d’or qui le signale se dérouler comme dans un rêve…

Le Capitaine Callet et le Lieutenant Mantoux, l’équipage héroïque

Enfin presque. De la rive gauche, des mitrailleuses se mettent en action. Tels des frelons, les traceuses passent devant notre avion, qui tente, lentement, de reprendre de l’altitude. Si je poursuis ma montée, les Allemands corrigeront leur tir. Ma décision est prise: je rentre les épaules et pique à mort sur les toits pour les raser au plus près. L’accalmie ne durera pas. Au Kremlin-Bicêtre, nous sommes touchés de plein fouet. Un choc violent s’est produit au niveau du train d’atterrissage. Nous avançons en zigzag dans une course éperdue. A Villejuif, à Arcueil, à Cachan, les mitrailleuses crachent sans relâche. Le retour est interminable. Jusqu’à la délivrance: les vergers, la banlieue, Montlhéry et nos chars qui foncent vers Paris. Nous crions de joie. Nous sommes bien vivants. Et c’est sur une aile, sans train d’atterrissage, que nous nous couchons dans une prairie.
Le général Leclerc nous félicite. Il nous apprend que le message a été reçu, compris et exécuté. Je ris d’un rire nerveux. Comme si j’avais perdu la raison.”

 

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